L'histoire du whisky japonais

Si l'histoire du whisky reste un sujet de discorde entre irlandais et écossais, chacun s'accordant l'origine du breuvage, c'est entre le 12ème et le 15ème siècle qu'apparait ce qu'on appelle alors "uisge beatha". Du côté du Japon, le fil est plus simple à remonter et mène au 20ème siècle soit finalement une histoire sensiblement plus récente.

De l’arrivée du whisky sur l’archipel à la fin de la seconde guerre mondiale.

Le whisky (américain et écossais) est officiellement arrivé sur l'archipel en 1853 dans les cales des navires de la flotte américaine du commandant Matthew Calbraith Perry, cherchant, à l'époque, l'ouverture de nouvelles routes commerciales avec le Japon. Quelques fûts étaient destinés à l'empereur en guise d'offrande, tandis que les autres servirent à faire découvrir le whisky à la population japonaise.

Cependant, la technique de distillation à partir d'ingrédients fermentés existait déjà, elle est apparue au Sud du Japon aux alentours du 15ème siècle, lors des nombreux échanges commerciaux avec la Chine. Les Japonais se sont dès lors mis à produire un alcool à base de riz fermenté : l'awamori, inspiré des boissons alcoolisées venues de la Thaïlande. Cet alcool de riz se répandit rapidement à travers le Japon et évolua petit à petit pour devenir le shochu, une boisson traditionnelle élaborée à partir de divers ingrédients de base (riz, blé, orge, patate douce...) fermentés puis distillés.

LA NAISSANCE DU WHISKY JAPONAIS

A son arrivée sur l’archipel, le whisky ne remporte pas un grand succès auprès de la population japonaise, peu enclin à découvrir des produits venant de l’étranger. Mais c’était sans compter la détermination d’une poignée de visionnaires passionnés par les spiritueux et bien décidés à produire du whisky de malt au Japon. C'est ainsi que l’histoire du whisky au Japon se confond intimement avec le destin de deux hommes : Shinjiro Torii et Masataka Taketsuru, aujourd'hui considérés comme les pères fondateurs du whisky japonais. 

Leurs deux philosophies bien distinctes ont profondément participé au développement du whisky au Japon. La première approche, celle de Torii, était de créer un whisky inspiré du whisky écossais mais avec un style et un caractère bien japonais. La deuxième, celle de Taketsuru, était de reproduire un whisky aussi proche que possible du whisky écossais mais avec un style et un caractère unique.

Officiellement, l’histoire du whisky japonais débute en 1923 avec la collaboration des deux hommes pour la construction de la toute première distillerie de malt du Japon : Yamazaki.

Mais l’histoire n’est pas si tranchée, Eigashima Shuzo, producteur de saké et de shochu, ayant obtenu la licence de distillation de whisky en 1919 avec une production occasionnelle dès 1920. Il faudra toutefois attendre les années 60 pour que la distillerie passe sur une production saisonnière mais régulière de whisky de malt.

SHINJIRO TORII, LE PERE FONDATEUR A L'ESPRIT PIONNIER

Né à Higashi-Ku dans la région d'Osaka, le 30 janvier 1879, Shinjiro Torii est le deuxième fils d'un agent de change, Chubei Torii. Débrouillard et volontaire, il travaille depuis l’âge de 13 ans dans les commerces du port d’Osaka et au fil des différentes boutiques dans lesquelles il poursuit son apprentissage, il découvre le commerce des vins importés de l’étranger et plus particulièrement les vins doux du Portugal ; le Madère et le Porto.

L'histoire de l'empire Suntory et quelque part celle du whisky japonais, commence le premier février 1899 lorsque Shinjiro Torii décide à l’aube de ses 20 ans d’ouvrir une échoppe à Osaka : le Torii Shoten.

Petit à petit l’échoppe devient une boutique et Shinjiro Torii se transforme en caviste en proposant une large gamme de boissons alcoolisées exotiques dont le whisky écossais Old Parrqu’il affectionne particulièrement. Mais son ambition est plus grande, il veut éduquer le palais des Japonais, réputé fin et difficile, aux arômes particuliers des vins portugais et espagnols. Malheureusement l’échec est à la hauteur de la difficulté du défi, et le succès ne se présente pas. Shinjiro Torii, fort de son caractère, n’en reste pas là et décide d’adopter une autre stratégie.

Puisque le palais des Japonais ne s’adapte pas aux vins qu’il propose, il va adapter le vin au palais des Japonais. Avec l’aide d’une équipe de scientifiques, il se met alors à disséquer ces vins venus du Portugal pour les modifier en les rendant plus doux, plus adaptés aux habitudes culturelles japonaises.

Shinjiro Torii

Le fruit de ce travail est dévoilé en 1907, avec le lancement de son vin doux appelé Akadama Port Wine qui remporte un succès immédiat. Le Torii Shoten est alors une épicerie fine florissante où Shinjiro Torii vend son Akadama Port Wine mais aussi d’autres produits importés comme des épices, des sauces ou des boissons alcoolisées. La même année la boutique fut rebaptisée Kotobukiya Liquor Shop.

MASATAKA TAKETSURU, LE PERE FONDATEUR A L'ESPRIT GLOBE-TROTTER

Troisième fils d'un grand producteur de saké, Masataka Taketsuru est né en 1895 dans la ville côtière de Takehara située à une soixantaine de kilomètres d'Hiroshima. Sa famille y possède la brasserie de saké depuis 1733, et Masataka est donc prédestiné à reprendre l'affaire familiale, pour cela il étudie la chimie à l'université d'Osaka et plus particulièrement les processus de fermentation et de distillation.

Masataka Taketsuru

A la fin de ses études en 1916, il est recruté en tant que chimiste par la distillerie Settsu Shuzo spécialisée dans la production de saké et de shochu. Très vite repéré par Kihei Abe, le patron de la distillerie, le jeune et brillant Masataka Taketsuru est envoyé en Ecosse pour étudier le processus de fabrication des liqueurs occidentales et plus particulièrement celui du whisky. 

Il débarque en Ecosse à Glasgow, en décembre 1918. Durant son séjour, il suit de nombreux cours sur la distillation dans les universités écossaises, tout en suivant un apprentissage intensif dans plusieurs distilleries absorbant le savoir-faire des maîtres distillateurs et recevant un entraînement à l'art de l'assemblage.

C'est à l'université de Glasgow que sa vie sentimentale va définitivement changer. Masataka, jeune et brillant étudiant japonais, ne tarde pas à se lier d’amitié avec la jeune étudiante en médecine Ella Cowan, qui va le présenter à son frère Cowan à qui il enseignera le ju-jitsu, et à sa petite sœur Jessie Roberta qui préfère se faire appeler Rita.

Avec Rita ce fut un coup de foudre immédiat, une véritable romance hollywoodienne. Pourtant ils doivent vivre leur histoire d'amour en secret. Leurs deux familles ne voyant pas d'un bon œil cette idylle naissante entre les deux, elles décident de s'y opposer. Mais l'amour triomphe, et Masataka épouse Rita en 1920, année de leur départ pour le Japon.

A son retour d’Ecosse, Masataka apprend que son rêve de pouvoir mettre en œuvre tout le savoir-faire qu’il a accumulé lors de son voyage ne verra jamais le jour, du moins pas avec Settsu Shuzo. Malheureusement, le marasme économique dû à la Première Guerre Mondiale n’épargne pas le Japon et Settsu Shuzo prend la décision de se concentrer sur les alcools traditionnels plutôt que de se lancer dans la grande aventure du whisky. Il finit par quitter la firme en 1921.

L'UNIQUE COLLABORATION POUR UN PROJET AUDACIEUX

Shinjiro Torii, à l’aube de ses trente ans, ne se contentera pas du succès grandissant de sa boutique, qu’il renomme Kotobukiya Limited en 1921, c’est un visionnaire et surtout un passionné de cette boisson maltée au fort degré d’alcool venu de cette île si lointaine qu’est l’Ecosse.

Il se lance alors un défi à la hauteur de son ambition : importer et développer le whisky au Japon. Par expérience il sait que le whisky importé aura du mal à s’imposer au palais de ses compatriotes. Qu’à cela ne tienne, il l’adaptera aux japonais. Et derrière ce défi, une idée folle, celle de créer son propre whisky. Un whisky d’inspiration écossaise mais au style purement japonais.

Il va donc lui falloir une distillerie, et plutôt que de racheter une des nombreuses distilleries de shochu déjà existantes et de l’adapter à la production de whisky, il décide de créer la sienne.

Pour cela il va avoir besoin du savoir-faire écossais qu’il ne possède pas et son chemin va alors croiser celui de Masataka Taketsuru, l’autre père fondateur du whisky japonais. Ironie de l’histoire, c’est le principal concurrent de Shinjiro Torii, Settsu Shuzo, qui l'a envoyé en Ecosse pendant deux ans. Taketsuru accepte la proposition de Shinjiro Torii avec qui il partage les mêmes ambitions et la même passion pour le whisky.

Dès le départ cette collaboration fait des étincelles et la vision des deux hommes se confronte sur un point essentiel : l’emplacement de la distillerie que Shinjiro Torii veut construire. Pour Torii il faut un whisky adapté aux japonais et pour cela il faut un emplacement où le climat est totalement différent de celui de l’Ecosse, tandis que pour Taketsuru il faut un climat comparable pour produire un whisky au plus proche du style écossais.

Au départ, deux emplacements sont donc proposés, la vallée de Miyagi aux eaux pures et au climat très marqué pour l’un, et l’île d’Hokkaido au climat identique à celui de l’Ecosse pour l’autre.

C’est finalement Torii qui aura le dernier mot, et la construction de Yamazaki débutera en 1923 entre Kyoto et Osaka à Shimamoto au pied de petites collines d’où s’écoule une source d’eau très pure. La construction fut achevée en 1924 et Taketsuru après avoir entièrement contribué à la conception et au montage des installations techniques, continue quelques années à travailler pour Torii, qui l'envoie à travers l'Europe perfectionner ses connaissances sur la technique de fabrication des liqueurs étrangères.

Distillé à la distillerie de Yamazaki, le tout premier whisky japonais, créé par Torii et Taketsuru, fut commercialisé en 1929 sous la marque « Suntory Shirofuda » qui signifie « Suntory white label » en Japonais. Néanmoins, malgré tous les efforts investis dans la construction de la distillerie, Taketsuru et Torii mirent fin à leur collaboration au bout de 5 ans.

LA NAISSANCE DE NIKKA

Taketsuru, qui vient tout juste de mettre fin à la relation professionnelle avec Torii, quitte Kotobukyia pour fonder la société Dai Nippon Kaju qui signifie compagnie de jus de fruits du Japon. Afin d’assouvir son désir de déguster un jour son propre whisky, il se lance dans la construction d’une nouvelle distillerie. Yoichi sera bâtie en 1934 au nord du Japon sur l’île d’Hokkaido dont le climat et les paysages ressemblent à l’Ecosse, et la distillation y commencera dès 1936. 

Pendant que les premiers single malts distillés vieillissent dans les fûts en attendant l’arrivée du premier whisky de Yoichi, Masataka mit en place une activité autour des jus de fruits à base des pommes locales de Hokkaido. Plus tard en 1952 la société adoptera définitivement le nom de Nikka Whisky diminutif de NI-ppon et de KA-ju.

C’est en 1937 que Torii lança son deuxième whisky appelé « Kakubin » qui signifie « bouteille carrée », un produit à la longévité extraordinaire qui existe toujours aujourd’hui. Taketsuru commercialisa son premier produit sous la marque Nikka Whisky en 1940. Malgré les restrictions rencontrées en temps de guerre, ni l’un ni l’autre n’eurent de difficultés à obtenir les matières premières nécessaires à leur production et purent poursuivre leurs activités de distillation.

L’essor du whisky japonais, de l’après-guerre aux années 80.

Après la fin de la Seconde Guerre mondiale et de l'occupation du Japon, la bière et le whisky remplacent le saké comme alcools populaires dans les zones urbaines. D’autres producteurs de spiritueux tels que la famille Akuto, Hombo Shuzo, Wakatsuru Shuzo ou encore la firme Daikoku-Budoshu, décidèrent à leur tour de participer à l’aventure du whisky japonais et se mirent à distiller du malt. 

Fondée en 1941 par Isouji Akuto descendant d’une famille de brasseurs de saké depuis 1600, la distillerie Hanyu obtint la licence de distillation de whisky en 1946 à la fin de la seconde guerre mondiale. Située au nord-ouest de Tokyo dans la ville de Hanyu et équipée d’alambics traditionnels de fabrication japonaise, la distillerie produisait toutes sortes d'alcools, notamment du whisky de malt.

Hombo Shuzo, producteur de saké et de shochu installé à Kagoshima, obtint la licence de distillation de whisky en 1949 et se mit dès lors à produire un whisky de manière saisonnière et embouteille encore aujourd’hui sous la marque Mars Whisky avec ses deux distilleries Shinshu et Tsunuki. 

Wakatsuro Shuzo, brasseur de saké et producteur de shochu basé dans la ville de Tonami (préfecture de Toyama) obtint la licence pour distiller du whisky en 1952. La distillation de malt a commencé en 1954 pour se poursuivre de manière discontinue jusqu'en 2016 lorsque Wakatsuru Shuzo prit la décision de rénover ses installations de la région de Hokuriku pour les dédier à la production de whisky en érigeant la distillerie Saburomaru.

Fondée en 1955 au pied du mont Asama, un des volcans les plus actifs de l'archipel, Karuizawa était alors plus un vignoble qu’une distillerie. Ce n'est qu'en 1958 que la firme Daikoku-Budoshu, propriétaire de l'exploitation se mit à produire, avec seulement un alambic de fabrication japonaise, du whisky à base d'orge Golden Promise maltée importée d'Ecosse. Une grande phase d'agrandissement du site a eu lieu en 1962 et forte de ses quatre nouveaux alambics, la distillerie a produit de manière intensive jusqu'en 2001, année de sa fermeture définitive.

LA CONSOLIDATION DANS LES ANNEES 60

Durant les années 60, le Japon a connu une période de forte croissance appelée Boom Izanagi, favorisant entre autres la consommation d’alcools occidentaux, et c’est aussi à cette époque que la production de whisky de grain s’intensifie sur l’archipel, notamment grâce à la distillerie spécialisée de Kawasaki.

Dès le début des années 60 Suntory a favorisé le développement de la culture du whisky au Japon en ouvrant des bars Torys dans tout le pays. Dans ces bars, Suntory a révolutionné la façon de boire le whisky en introduisant le "Highball", mélange de whisky et d’eau pétillante avec beaucoup de glaçons. Plus dilué, le whisky est alors plus apprécié par les consommateurs japonais qui peuvent le déguster en accompagnement de nourriture. Autre style innovant de consommation du whisky introduit par Suntory : le "Mizuwari" (mélange de whisky et d’eau). 

Mais Shinjiro Torii décèdera en 1962 obligeant son fils Keizo Saji qui avait rejoint Suntory en 1945, à prendre le relais avec une seule idée en tête ; poursuivre l’œuvre de son père.

En 1961, Masataka fortement attristé par la mort de Rita, compense sa perte en dédiant toute son énergie au perfectionnement de ses blended whiskies. Le Super Nikka est alors créé en hommage à son épouse à la fin de la même année.

En 1963, deux alambics à colonnes de type « Coffey » sont importés d’Ecosse par Nikka pour la production de whisky de grain japonais, élément incontournable pour composer des blends et répondre à la demande des consommateurs japonais plus friands de ces assemblages que de sinlge malts. D’abord installés à Nishinomiya, ces alambics furent transférés en 1999 à Miyagikyo la deuxième distillerie Nikka, où whiskies de malt et de grains sont distillés conjointement. 

Face au succès croissant des whiskies Nikka et afin d’accéder à une palette de styles de whiskies de malts plus large pour augmenter la complexité de ses assemblages, le deuxième défi de Takestsuru fut de construire une nouvelle distillerie de malt située au nord de l’île japonaise d’Honshu.

Le climat rude de Yoichi similaire à celui des îles écossaises contraste avec les collines et forêts paisibles de la région de Miyagi, reconnue pour son air pur, mais surtout son eau cristalline qui a finalement séduit Taketsuru après trois années de recherche. C’est ici qu’il installa la distillerie Miyagikyo en 1969, en plein cœur de cet environnement naturel préservé, d’où le whisky tire sa légèreté, son élégance et sa pureté.

Afin de restituer au plus juste le caractère de ce lieu, la distillerie Miyagikyo bénéficiera des dernières innovations technologiques pour maîtriser au maximum la distillation. A la différence de Yoichi et ses alambics chauffés par flamme directe, les alambics tout neufs de Miyagikyo sont chauffés à la vapeur afin que la distillation se conduise en douceur à faible température.

DE NOUVELLES DISTILLERIES

Le début des années 70 verra la création de 3 nouvelles distilleries : Chita, Fuji Gotemba et Hakushu. 

Située au pied du mont Fuji à 600 mètres de hauteur, Fuji Gotemba est fondée en 1972 par Kirin célèbre producteur de bières et autres boissons alcoolisées qui dévoilera son premier whisky le Robert Brown 2 ans plus tard en 1974. 

En 1972, Keizo Saji franchit une étape importante dans la poursuite de la vision de son père en lançant la construction de sa première distillerie entièrement dédiée au whisky de grain pour répondre à la demande en blends (grands consommateurs de whiskies de grain), et poursuivre le développement de la marque Suntory avec la création de nouveaux whiskies.

Un an plus tard en 1973, Keizo Saji est aussi à l’origine de la construction de Hakushu la deuxième distillerie de malt de Suntory. Afin de produire un whisky aux attributs différents de ceux de Yamazaki, elle sera installée au cœur des Alpes japonaises nichée dans un écrin de nature préservée accueillant une réserve ornithologique qui fait le bonheur des oiseaux et des randonneurs. Bâtie à 700 mètres d’altitude, Hakushu fait partie des distilleries les plus hautes du monde lui permettant de bénéficier naturellement de la distillation à basse pression d’où ses whiskies tirent leur finesse et leur légèreté. 

En 1979, Masataka Taketsuru décède à l’âge de 85 ans, 10 ans seulement après la construction de Miyagikyo. Dans l’esprit des Japonais, il restera à jamais comme un des pères fondateurs du whisky japonais, et son héritage perdure encore aujourd’hui à travers les nouvelles créations Nikka Whisky, qui continue d’innover tout en restant fidèle à la philosophie de Taketsuru et sa recherche d’excellence.

Des hauts et des bas, des années 80 à aujourd’hui.

Le whisky japonais rencontre un vif succès à la fin des années 70 et la production continuera d’augmenter jusqu'en 1983 avec un pic de 379 000 kilolitres de whisky produits cette année-là. Ces perspectives positives poussent alors Hombo Suzo à fonder une nouvelle distillerie dédiée à la production de whisky, c’est ainsi que Shinshu est construite en 1984 au cœur des Alpes Japonaises.

Malheureusement, avec les effets combinés de l’augmentation de la taxe sur la production de whisky décidée courant 1984, la mise en place simultanée d’une diminution significative des tarifs douaniers sur les whiskies importés, et sans compter la diversification des goûts des consommateurs japonais qui s’orientent vers d’autres alcools tels que le vin ou les longs drinks de shochu, la production de whisky japonais va subir une baisse continuelle de 1984 jusqu’aux environs de 2008. 

Cette longue période de récession oblige certaines distilleries japonaises à se mettre plus ou moins en sommeil, comme Shinshu en 1992, à se recentrer sur la distillation d’alcools traditionnels comme Eigashima ou tout simplement à fermer comme Hanyu en 2000 et Karuizawa en 2001.

De leur côté, Nikka et Suntory profitent de ces années de récession pour repenser l’ensemble de leur production. Ces améliorations sont récompensées dans les années 2000 par plusieurs prix dont le tout premier fut le titre de “Best of the Best” reçu par Nikka pour son single malt Yoichi 10 ans dans un concours international organisé par Whisky Magazine en 2001. C'est alors la première fois qu’un whisky non-Écossais reçoit cet honneur ! Cette première récompense marque le début de la récente montée en puissance des whiskies japonais.

Cette montée en puissance conforte alors Ichiro Akuto, le petit-fils du fondateur de Hanyu, à réaliser son rêve et vivre de sa passion en construisant sa propre distillerie de whisky qu’il installera en 2008 à Chichibu, non loin de la ville de Hanyu. Sa distillerie a su se démarquer dès le départ grâce au coup de génie de Ichiro qui réussit, à l’aide de quelques investisseurs, à racheter les stocks restant des distilleries fermées de Hanyu et Kawasaki. Ces fûts si précieux ont permis de proposer des embouteillages exclusifs dès la mise en route de la distillerie la faisant entrer quasi immédiatement dans la cour des grands. Chichibu a également servi de lieu de stockage des fûts restants de la célèbre distillerie Karuizawa.

LE BOOM DU WHISKY JAPONAIS

Aux alentours de 2009, le marché japonais retrouve le chemin de la croissance (68 millions de litres produits cette année-là) avec le boom des highballs à base de whisky, mais aussi grâce à l’augmentation des exportations.

A partir de 2010 devant le nombre de récompenses reçues et l’augmentation du tourisme au Japon, la demande mondiale en whisky japonais explose. Les Hibiki, Yamazaki, Hakushu et autres Taketsuru, Yoichi ou Miyagikyo en versions âgées enchaînent les récompenses dans les compétitions internationales soutenant une soudaine et forte croissance des ventes de bouteilles sur l’archipel et à l'étranger.

Conséquence de cet engouement, l’épuisement rapide des stocks de vieux whiskies entraine de gros soucis de disponibilités sur les whiskies âgés poussant, en 2015, Nikka a annoncé l'arrêt des versions âgées des single malts Yoichi et Miyagikyo de Nikka, et Suntory a rationnaliser fortement ses stocks et le remplacement du Hibiki 12 ans par une version sans compte d'âge. Une raréfaction des whiskies japonais âgés qui a des effets immédiats sur les prix et des phénomènes de spéculation difficilement contrôlables.

L'EXPLOSION DU NOMBRE DE DISTILLERIES

Pour répondre à la demande toujours plus importante, les principaux acteurs ajustent dès 2016 leurs capacités de production, rajoutant des alambics voir en créant de nouvelles installations. C'est dans ce contexte que de nombreuses nouvelles distilleries sont inaugurées à partir de 2015, comme :

  • Tsunuki qui vient renforcer les capacités de Mars Whisky,
  • Miyashita à l'origine des whiskies Okayama,
  • Akkeshi à Hokkaido, surnommée la petite Lagavulin
  • Asaka pour des single malt japonais Yamazakura
  • Kanosuke
  • Nagahama
  • Saburomaru qui relance et développe les capacités de Wakatsuru Shuzo
  • Sakurao pour des whiskies produits au Japon avec tout le savoir-faire d'assemblage de Togouchi
  • Kaikyo
  • Shizuoka

Toutes ces jeunes distilleries prometteuses et à suivre de près, ont ou sont sur le point de dévoiler leurs premiers single malts. En attendant, certaines proposent des gins comme Sakurao ou Kanosuke, des assemblages composés de whiskies importés comme Kaikyo et ses Hatozaki, Sakurao avec la gamme Togouchi, Nagahama et ses World Blend Amahagan. Ces nouvelles venues parfois héritières d’un long savoir-faire dans la fabrication de boissons alcoolisées, n’hésitent pas à bousculer les règles tacites qui régissent le secteur comme Nagahama et Saburomaru qui ont dévoilé en 2021 des whiskies issus d’un échange de fûts entre les deux distilleries.

Quelques distilleries du sud du Japon, situées sur l’archipel d’Okinawa et traditionnellement productrices d’awamori, se sont aussi embarquée dans l’aventure du whisky japonais en créant un nouveau type de single grain à base de riz dont les plus célèbres sont les whiskies Kujira.

VERS UNE NORMALISATION DU WHISKY JAPONAIS

Le monde du whisky japonais est donc en pleine effervescence et compte bien conforter le Japon dans sa place de grande nation du whisky.

Une progression qui s'accompagne depuis février 2021 d'une normalisation de l’appellation "whisky japonais" à l'initiative des principaux producteurs réunis au sein de la Japanese Spirits Liquor Makers Association. Sans atteindre le niveau d'influence de la Scotch Whisky Association pour le whisky écossais ou le niveau d'application d'une loi, le cahier des charges établis par l'association permet d'y voir plus clair sur la classification des whiskies.

Si cette démarche ne s'impose pas obligatoirement à tous les producteurs, elle va néanmoins dans le bon sens pour organiser un marché où l'absence de règles a permis, ces dernières années, le développement de produits trompeurs. Profitant de l'engouement pour le whisky japonais, certains producteurs ont en effet saisi l'opportunité de commercialiser du shōchū en tant que whisky ou d'embouteiller des whiskies exclusivement importés comme "produit du Japon". Si ces pratiques n'impliquent pas nécessaire de mauvais produits d'un point gustatif, il reste difficile de les considérer au même niveau qu'un whisky issu d'une distillerie japonaise identifiée et renommée.

C'est donc la réputation du whisky japonais qui se joue désormais et c'est la raison pour laquelle nous avons, sur Uisuki, établi une classification claire de tous les whiskies proposés sur notre site.